تويت
Les merveilles de Mont Poobel 3
L’autruche plumée
Par : Saïd Chlih
C’est une autruche pas comme les autres. Elle recèle toutes les contradictions imaginables. Sympathique et pathétique, habile et maladroite, silencieuse et indiscrète, réservée et grivoise, généreuse et pernicieuse, docile et belliqueuse. Elle mue avec une aisance remarquable, digne d’une autruche atypique.
Elle donne l’impression d’aimer tout le monde. Elle fourre son bec partout. Même dans les poubelles. Sa curiosité est exemplaire. Sa boulimie est simplement incommensurable.
Inassouvie, elle est toujours à la recherche d’un palliatif, quelle qu’en soit la nature. De la simple jacasserie à la noise en passant par la médisance. Ce qui importe pour elle, c’est de repérer la plus courte voie qui mène au siège du félin boiteux.
Son style enrobé de rouerie se rapproche quelque peu de celui des félins. Il s’en démarque, par contre, par la façon d’aborder les autres dans un camp où les choses se font tous azimuts et sans scrupules. C’est un style qui change selon les circonstances. Il peut être raffiné et logique. Comme il peut devenir archaïque et malséant.
L’obsession de régner sur Mont Poobel, a conduit l’autruche à se procurer, Dieu sait par quel moyen, la peau d’un félin qu’elle enfile, de temps à autre, pour goûter, ne serait-ce que virtuellement, la sensation magique du pouvoir que dégage cette peau, quoique puante !
A l’instar du félin boiteux, l’autruche a réussi à scinder le camp des résidents du Mont en petits clans qu’elle montait les uns contre les autres. Se passant pour l’amie de tous, elle peut s’allier même avec le diable pour exaucer son rêve le plus cher, celui de se débarrasser de ses plumes délabrées et de se faire un nouveau plumage multicolore pour se pavaner au Mont tel un beau paon faisant la roue.
Curieusement, l’intelligence de l’autruche l’a trompée. Au lieu de continuer de jouer le jeu de la complicité et de la complaisance avec le félin boiteux, elle s’est insurgée contre lui. Elle lui a déclaré ouvertement la guerre. Une guerre sans merci où toutes les armes sont permises.
A armes inégales, C’est une guerre perdue d’avance pour l’autruche. Elle capitule face à un félin qui dispose d’un arsenal d’armes sophistiquées et d’un bataillon d’autruches, de rapaces et d’autres résidents et non-résidents du Mont qui, pour recevoir sa bénédiction, sont capables de combattre le diable en personne.
Blessée dans sa fierté et complètement anéantie devant ses pairs, l’autruche n’avait pas d’autre choix que d’accepter la situation avec résignation. Pour laisser passer la tempête, elle est allée jusqu’à enfoncer sa tête dans la boue !
Elle a mal digéré une telle indignation. Elle en voulait tellement au félin boiteux qu’elle était prête à payer cher pour le voir piétiné, humilié et même décapité. Les sentiments de haine qui foisonnaient au fond d’elle, lui suggéraient de tenter l’impossible, y compris les actes sataniques, pour sauver la face et conquérir le fameux trône du Mont.
Après mûre réflexion, elle s’est rendu compte de la vanité de ses démarches et de l’insécurité de ses faux pas qui allaient lui valoir sa petite place au phalanstère. Elle a aussi pris conscience de l’étroitesse de sa marge de manœuvre et s’est ressaisie. Elle a enfin décidé de faire appel à l’aide étrangère pour affaiblir le félin boiteux et le pousser à la reddition.
C’est une guerre de renseignements qui commence. L’autruche qui nage dans l’illusion, fait usage de tous les moyens, loisibles et illicites, pour collecter et diffuser les informations, vraies ou fausses, qui pourraient déstabiliser le félin boiteux afin de le battre dans son propre camp.
Connaissant mal ou plutôt sous-estimant les capacités extraordinaires du félin boiteux à s’adapter à toutes les situations et renaître de ses cendres – des vies, il en a sept ! -, l’autruche s’est trompée encore une fois sur le compte de son allié d’hier et ennemi d’aujourd’hui. L’espièglerie du félin boiteux dépasse les limites du réel. Sans vergogne comme il a toujours été, il ne recule que pour sauter sur son adversaire et l’agresser sauvagement.
Les yeux rouges de l’autruche ne lui font pas peur. Ni même ses petites manigances qu’il parvient à décoder facilement et à déjouer habilement.
L’autruche aurait dû se rendre à l’évidence et redouter la force du félin qui avait massacré nombre de rebelles. Les exemples ne manquent pas. Elle n’avait qu’à s’en souvenir. Le plus édifiant est celui de la brebis que le félin boiteux a jetée comme une vieille carcasse après l’avoir asservie, froissée et intimidée pendant la montée du Mont et tout au long de son règne.
Perdue en conjectures, l’autruche s’est, finalement décidée à jouer la carte du vieux chacal impotent au regard languissant du Mont Adams. C’était sa dernière carte, sa soupape de sécurité.
Compte tenu du poids lourd du chacal, elle n’avait pas le moindre doute qu’elle allait avoir gain de cause et accaparer la place qui lui reviendrait de fait et non de droit.
Les choses se sont passées autrement. La dernière carte n’était qu’un faux joker ! Le fameux chacal n’était, en fait, qu’une mascotte géante que le vent a subitement déplacée hors du Mont où elle s’était imposée avec le soutien d’une autre mascotte de son espèce.
L’autruche aura fait fausse route.
A suivre…
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