Temps : 22h, une nuit d’hiver
Lieu restreint : une chambre d’un sous-sol qui pue le camphre
Lieu élargi : Québec, Canada
Personnages :g
Moi, personnage anthropomorphe
le bruit de la tempête, actant
la page blanche, opposant
la nuit, adjuvant
L’histoire h
Lieu restreint : une chambre d’un sous-sol qui pue le camphre
Lieu élargi : Québec, Canada
Personnages :g
Moi, personnage anthropomorphe
le bruit de la tempête, actant
la page blanche, opposant
la nuit, adjuvant
L’histoire h
Il est 22h. L’idée de me sentir seul dans ma chambre comme un cri qui résonne me séduit peu. Je songe illico à griffonner quelques lignes dans une page blanche de mon vieux calepin; histoire de faire de la concurrence au seul bruit de la tempête qui semble s’imposer majestueusement à l’extérieur, annonçant fièrement l’inévitable arrivée de l’hiver. Car la saison blanche règne au pays de l’érable. Rien ne semble lui rendre justice que cette vieille chanson populaire que les gens d’ici fredonnent allègrement : Mon pays ce n’est pas un pays, c’est l’hiver. Ceci est d’autant plus vrai qu’il faut se douter de la température quand elle affiche un temps calme. Ce qui remet en cause la sagesse adverbiale selon laquelle : après la tempête, le beau temps. Ici, c’est l’inverse : après le beau temps, la tempête. k
Car, au Canada, le calme de la température est en quelque sorte l’exception; c’est-à-dire une espèce d’entre-deux-tempêtes dont la fonction primordiale consiste moins à mettre un terme à l’agitation des esprits que de permettre à ces derniers de mieux se préparer au prochain rendez-vous tant attendu. Oui. La tempête de neige est un événement très attendu ici. Etrange constatation. Car dans l’imaginaire collectif canadien, l’arrivée de la tempête sert de vecteur quasi indispensable de mobilisation nationale : on déneige avec les voisins, on prend les transports en commun avec des inconnus, on patine en groupes, on skie en famille, bref on socialise. Lieu de socialisation par excellence, l’arrivée de la neige devient vite un synonyme d’agitation populaire; certes, pas au même titre que les soulèvements qui suivent la publication des résultats d’un vote controversé, mais qui se compare aisément à de fortes sensations auxquelles concourent les rites cérémonials des tribus de l’Afrique sub-saharienne. Tant pour le Canadien d’Amérique que pour l’Amhara d’Ethiopie, dans un cas comme dans un autre, les esprits plongent dans un état de transe enivrante comme s’il s’agissait d’un indispensable rite de passage qu’il faut franchir afin d’atteindre ce je ne sais quel sentiment de satisfaction que les deux expériences semblent mystérieusement procurer. Au Canada, l’arrivée des premières tempêtes de neige sert de signe avant-coureur qui prépare les esprits à un rite, liturgique cette fois-ci, que l’on nomme magiquement Noël. Selon la croyance populaire, sans neige, point d‘esprit de Noël.h
Il faut dire aussi qu’en termes de choc des cultures, la frénésie collective qui accompagne l’arrivée de l’hiver me sert d’exemple édifiant. Aux yeux de l’étranger que je suis, étant né et ayant vécu une bonne partie de ma jeunesse au Maroc, – ce beau pays d’Afrique où il fait à peu près 300 jours de soleil par an – il fallait bien trouver le moyen de mieux cerner ce qui allait devenir ma nouvelle réalité environnementale. Après avoir passé quelques années à dénier vainement l’hiver; après avoir passé autant d’années à intégrer infructueusement les habitudes hivernales dans mes pratiques quotidiennes, je me suis résigné à faire la chose suivante : établir dans ma tête la nette – mais ô combien réconfortante différence entre vivre l’hiver tel le fait un Canadien et vivre avec l’hiver tel le subit un Africain!l
C’est grâce à cette résolution aussi bien psychologique que stratégique que j’ai réussi, comme par magie, à quand même apprécier les longues et froides nuits du légendaire hiver canadien. Certes, qui l’eût cru! Mais tout compte fait, n’est-il pas vrai ce que dit le proverbe fidjien : seulement ceux qui voient l’invisible réussissent l’impossible? Peu importe ma réponse à cette question, un fait n’en demeure pas moins vrai : vivre l’hiver est une chose; vivre avec l’hiver, en est une autre. k
Mohamed Chahid
تعليق